Le côté sombre de la garde partagée: une atteinte à l'autonomie des mères
À première vue, la garde partagée semble être la solution toute indiquée pour les couples qui se séparent – ce pourquoi, comme expliqué en première partie, les tribunaux et les législatures adoptent de plus en plus ce modèle de coparentalité. L’idée du « 50-50 », l’image même de l’égalité, semble donc attrayante, même pour les féministes préoccupées par la division sexuelle du travail, qui attribue souvent l’entièreté des soins des enfants aux femmes. Pourtant, les critiques féministes ont ardemment dénoncé les présomptions en faveur de la garde partagée, mettant en lumière les effets néfastes qu’elle peut avoir sur les mères. Cette série d'article se veut un aperçu de ces critiques, accompagné d'une vulgarisation des principes juridiques en jeu (quoique ma formation soit en droit canadien, ma compréhension est que la situation en France est encore pire en raison du contrôle important du lobby des pères sur la loi familiale).
L’autonomie des mères
![]() |
[Description: dessin en gros plan de deux mains menottées dans le dos d'une personne.] Source. |
Il y a quelque chose d’absolument
terrifiant à la pensée qu’une femme pourrait avoir un rapport sexuel (un seul)
avec un homme, et être condamnée à garder cet homme dans sa vie pour le reste
de ses jours – ou, du moins pour les 18 prochaines années. Alors que les femmes
sans enfant ont le droit à la « rupture nette » lorsqu’une relation
devient dysfonctionnelle, les règles de filiation paternelle retirent cette
option à la majorité des mères. La garde partagée réduit encore davantage
l’autonomie de ces dernières.
En effet, pour qu’une garde partagée soit
possible, il est presqu’indispensable que les parents habitent près l’un.e de
l’autre. Par conséquent, la garde partagée pose de sérieuses contraintes à la
liberté des femmes de déménager, notamment pour faire avancer leur carrière. En
réalité, ces contraintes ne se limitent pas aux situations de garde partagée.
Même un père qui n’a que des droits d’accès (c’est-à-dire que la mère a la
garde exclusive) peut s’opposer au déménagement de la mère en l’amenant devant
les tribunaux. Ce n’est pas que le déménagement de la mère être interdit, c’est plutôt qu’il permet au père
de remettre en question l’opportunité d’accorder la garde à la mère, lui imposant ainsi un deuxième procès sur la garde (Loi sur le divorce (Canada), article 17(5)), comme l’illustre la décision Gordon c. Goertz de la Cour suprême du Canada. Dans cette
décision, le père s’opposait à ce que la mère déménage en Australie pour y poursuivre des études. Si la Cour
suprême a donné raison à la mère – c’est-à-dire qu’elle a pu déménager en
Australie et conserver la garde de son enfant –, elle affirme cependant que « Les droits et l’intérêt des parents ne seront pertinents que s’ils ont une incidence sur l’intérêt de l’enfant. [...] Le lourd fardeau qui incombe aux parents gardiens ne justifie pas non plus l’existence d’une présomption en leur faveur. Les responsabilités en matière de garde restreignent la liberté individuelle des parents à plus d’un titre » (paragraphe 37). Pour simplifier, l’atteinte à l’autonomie de la mère, à moins d’affecter l’enfant, ne nous intéresse pas. Il faut par ailleurs comprendre que,
même si la mère a pu réaliser ses plans, devoir se battre devant les tribunaux
jusqu’en Cour suprême pour poursuivre des études à l’étranger ne peut pas être vu comme une
victoire pour l’autonomie des femmes.
En plus des contraintes exposées ci-haut,
les parents qui ont la garde partagée doivent élever un.e enfant ensemble malgré la rupture. Cela
requiert des communications fréquentes et une prise de décisions communes (également imposée lorsque la mère a la garde exclusive). Si
l’on peut trouver normal que des parents, même séparés, se consultent avant de
choisir une école pour l’enfant, il faut remettre ce scénario en
perspective : avec les présomptions qui existent dans différents pays en
faveur de la garde partagée, une mère peut très bien être forcée de consulter
son ex-conjoint avant de prendre des décisions sur les soins médicaux ou le
choix d’une école pour un.e enfant qu’elle a, à toutes fins pratiques, élevée
seule pendant la vie commune. Les décisions en matière de garde sont
généralement tournées vers l’avenir (on observe le « potentiel » du
père plutôt que l’historique de soins donnés par la mère). Ainsi, le fait qu’un
père n’ait jamais manqué même une demi-journée de travail pour s’occuper d’un
enfant malade ou assisté à la moindre réunion parent-élève ne lui retire pas
son autorité parentale sur l’enfant. D’après la Loi sur le divorce, article 16(9) : « le tribunal ne tient pas compte de la conduite
antérieure d’une personne, sauf si cette conduite est liée à l’aptitude de la
personne à agir à titre de père ou de mère ».
Par ailleurs, le dérangement que
représentent les contacts fréquents avec un ex se transforment carrément en
danger pour la vie en situation de violence conjugale. Un tel scénario ne doit
pas être considéré rare ou anodin. Il a été observé que de nombreuses femmes
commencent à vivre des violences conjugales à la grossesse, et que des pères
brandissent la menace de la garde des enfants pour obliger les femmes à rester
avec eux malgré une situation de violence (les femmes aux prises avec des
troubles de santé mentale sont particulièrement susceptibles de recevoir de
telles menaces). Imaginez une femme qui, malgré toutes les difficultés que l’on
connait bien, réussit enfant à se séparer d’un conjoint violent. N’est-il pas
inhumain de l’obliger à continuer à fréquenter l’ex-conjoint toutes les
semaines parce qu’iels doivent « s’échanger » l’enfant? Un tel
arrangement facilite la poursuite des violences. L’homme violent a par ailleurs
un levier important, puisqu’il peut menacer de s’en prendre à l’enfant si la
mère le dénonce ou n’accède pas à ses requêtes. Ajoutons que des mères, notamment en France, sont criminalisées
pour avoir refusé d’envoyer leur enfant chez leur ex-conjoint violent,
allant à l’encontre d’une ordonnance de garde (plus de détails ici).
Bien sûr, on pourrait régler la question en
excluant catégoriquement la possibilité d’une garde partagée lorsqu’il y a
violence conjugale – ce qui est avancé par des chercheuses et militantes féministes –
ou du moins, si le sort des mères nous indiffère, lorsque le père est violent
envers l’enfant. Cependant, la préférence pour la garde partagée est un
obstacle majeur à la dénonciation des violences masculines.
Dans l'article suivant, j'aborde comment les préférences pour la garde partagée dissuadent la dénonciation des violences conjugales. Il est disponible à l'adresse suivante: http://decolereetdespoir.blogspot.ca/2016/09/comment-la-garde-partagee-met-les.html
Suivez la page Facebook de ce blogue pour voir passer mes prochains articles.
Vous pouvez lire l'article précédent, Les hommes sont-ils discriminés en matière de garde d'enfant?, en cliquant ici.
Vous aimerez aussi Emma Watson et son mascuféminisme.