Les hommes sont-ils discriminés en matière de garde d’enfant?
Avez-vous déjà vu un film ou une série où un gentil papa ne demande qu’à voir son enfant, mais où une méchante maman n’arrête pas de lui mettre des bâtons dans les roues? Le gentil papa se résigne alors à prendre les grands moyens et va consulter un avocat, qui le prévient, désolé, qu’il n’a aucune chance d’obtenir la garde parce que les tribunaux l’accordent presque systématiquement aux mères.
J’ai vu un tel
scénario de nombreuses fois, notamment dans la série Gilmore Gilrs, où le père en question est l’incarnation même du bon
gars, et dans Nashville, où la mère
en question est l’image même de l’irresponsabilité. Évidemment, la spectatrice
ressent l’injustice de la situation. « Ben voyons! », se dit-elle,
« Comment les tribunaux peuvent-ils être aussi partiaux? » Et la
voilà convaincue que le système de justice est biaisé en faveur des femmes (la
tentation est forte d’insérer ici un gros LOL), ce qui n’est pas si difficile à
croire, puisque l’idée selon laquelle les femmes ont des privilèges au sein de
la famille est assez répandue.
Dans cet article, je
vais vous expliquer en quoi cette idée reçue est fausse, et en quoi elle est
dangereuse.
La
garde systématique aux mères, vraiment?
Il suffit d’ouvrir les
yeux pour constater que les mères ont plus souvent la garde que les pères. Ce
n’est pas moi qui affirmerait le contraire. La monoparentalité demeure, en
2016, très féminisée. Cependant, cela ne résulte pas de l’action des tribunaux.
Il faut savoir qu’en matière de droit familial, les parents règlent plus
souvent la question de la garde entre elleux. Iels pourront être d’accord pour
partager la garde selon un arrangement qui leur convient, ou alors, un seul des
parents demandera la garde exclusive sans que l’autre parent ne s’y oppose.
Ainsi, la raison pour laquelle la plupart des familles monoparentales sont
maternelles est que, dans le couple, c’est (trop) souvent la mère qui s’occupe
de l’enfant. Au moment de la rupture, le couple préserve
« naturellement » la division des tâches qui a toujours existé, sans
que les tribunaux n’aient rien à voir avec ce qui est simplement le résultat de
la division sexuelle du travail.
Les cas qui passent
devant les tribunaux sont donc les rares situations où les parents sont
incapables de s’entendre – les cas très conflictuels. Ceux-ci incluent certes
les situations où le père, impliqué dans la vie de son enfant, souhaite
conserver un rôle important, mais également les cas de violence conjugale ainsi
que ceux où le père ne veut simplement pas avoir à payer de pension
alimentaire. On ne peut pas présumer qu’on a affaire au papa parfait.
Qu’arrive-t-il dans
ces situations? Des chercheuses ont observé que les tribunaux accordent presque
systématiquement la garde partagée en cas de conflit, à moins d’une situation
extrême (encore faut-il la prouver). Alors que la loi exige des juges qu’elles
et ils décident au cas par cas en fonction du « meilleur intérêt de
l’enfant », une sorte de présomption s’est développée, et les tribunaux
tendent à considérer que la garde partagée est la solution parfaite par défaut.
(Source : Marie Christine Kirouack, « La jurisprudence relative à la
garde: où en sommes-nous rendus? » dans Barreau du Québec, Service de la
formation permanente, ed, Développements
récents en droit familial (Cowansville: Yvon Blais, 2007) 665)
Il s’agit donc non pas
de favoriser les mères, mais plutôt de favoriser les pères. En effet, si l’on
choisit la garde partagée par défaut, alors que l’alternative pourrait être
d’observer qui s’est davantage occupé.e de l’enfant dans le passé ou qui risque
de mieux s’en occuper, les hommes augmentent radicalement leurs chances de
« gagner » leur procès face à une mère qui demande la garde
exclusive.
Cette situation ne se limite pas au Québec. Certains états sont allés jusqu’à légiférer la présomption de garde partagée, ce qui la rend encore plus évidente qu’une tendance dans les jugements. C’est notamment le cas de l’Australie, où la Family Law énonce, à l’article 61DA: “When making a parenting order in relation to a child, the court must apply a presumption that it is in the best interests of the child for the child's parents to have equal shared parental responsibility for the child” (traduction: en rendant une ordonnance concernant un.e enfant, la cour doit appliquer une présomption qu’il est dans le meilleur intérêt de l’enfant que ses parents en aient une responsabilité parentale commune et égale).
La garde systématique aux mères n’existe pas.
La
rhétorique masculiniste
La plupart des gens ne
comprennent pas vraiment ce qui se passe devant les tribunaux et ce que dit la
loi – ce qui, bien sûr, n’est pas un hasard. Mais répéter le cliché selon
lequel le droit de la famille favorise les mères n’est pas seulement de la
méconnaissance du droit – c’est en réalité un des piliers fondamentaux de la
rhétorique masculiniste. ![]() |
http://s2.lemde.fr/image/2013/05/02/534x267/3170078_3_9f66_serge-charnay-pere-divorce-retranche-au_0de6e06c2254dca6bdf79aff6b22cee1.jpg
|
[Description: photo d'un père manifestant sur une grue avec une banderole sur laquelle il est écrit "Benoit 2 ans sans papa". En 2013, les "papas perchés" ont réalisé plusieurs manifestations masculinistes de ce type en France pour réclamer plus de droits aux pères.]
En effet, les
masculinistes sont extrêmement centrés sur le « mouvement des
pères », notamment parce que la revendication de passer du temps avec son
enfant est plus cute que les
manifestations pro-viol ou anti-pensions alimentaires. Mobilisant l’idée
saugrenue du « matriarcat » prétendument à l’œuvre dans la société
occidentale, ils prétendent que leur donner plus de droits participe à une
« réelle » égalité (contrairement aux droits demandés par les
féministes qui oppriment les hommes). Les groupes des pères ont eu une
influence importante sur les changements en faveur de la garde partagée. On ne
peut donc pas aborder cette question sans considérer d’où vient ce discours.
Par ailleurs, les
masculinistes cherchent à réécrire l’histoire en prétendant que les femmes sont
favorisées en matière familiale à cause de stéréotypes historiques sur
l’incompétence des hommes. On a l’impression que le droit a traditionnellement
accordé la garde aux femmes en cas de divorce. Il y a quelques problèmes
majeurs avec cette affirmation… D’abord, faut-il rappeler que la liberté des
femmes de divorcer n’est pas exactement une tradition millénaire… En plus,
l’autorité parentale, qui confie la responsabilité de l’enfant à ses deux
parents, n’a remplacé la puissance paternelle dans le Code civil au Québec
qu’en 1977 (source). Avant cela, même si les mères s’occupaient
principalement des enfants, elles n’avaient pas le pouvoir légal de prendre des
décisions à leur égard (ou alors, seulement quand le père était absent). La
tradition de la puissance paternelle est assez universelle, mais on retrouvait
généralement une exception pour les jeunes enfants – les hommes n’allaient
quand même pas inventer des lois qui les forcerait à changer des couches! Ainsi,
à l’époque où les femmes n’avaient aucun droit parental, une présomption leur
accordait tout le même la garde de l’enfant de quatre ans ou moins, puis, plus
tard, de sept ans ou moins (source).
Mise à part cette
exception, résultat de la militance de la féministe Caroline Norton au 19e
siècle en Angleterre, les hommes ont toujours eu la position de force en
matières juridiques, et le droit familial ne fait pas exception. Encore aujourd’hui,
il existe de nombreux pays où les femmes perdent leurs enfants en divorçant, ce
qui, bien sûr, dissuade les séparations même en cas de violences.
Par conséquent,
prétendre que les femmes sont favorisées en matière de garde d’enfants est à la
fois historiquement et légalement faux. Il est important de prendre conscience
que cette idée provient de la rhétorique masculiniste qui cherche à démontrer
une « oppression des hommes » dans la société afin de justifier l’obtention
de plus de privilèges. Ne tombez pas dans ce piège.
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