6 signes que tu n’es pas vraiment contre la culture du viol
Comme à
chaque rentrée scolaire, la période des initiations à imposé à d’innombrables
étudiantes de première année diverses activités dégradantes, violentes, ridicules
ou participant à la culture du viol. Les médias en ont parlé. Comme à chaque
rentrée scolaire, d’innombrables femmes de première année ont entamé leurs
études universitaires en étant violées sur le campus ou dans le cadre
d’activités scolaires. Mais ça, les médias n’en ont pas parlé.
[Description: des jeunes dansent, boivent, font la fête]
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Les mois de
septembre à novembre de la première année d’études universitaires sont ceux où
les étudiantes ont le plus de « chances » d’être violées (on pourrait
aussi dire : « les étudiants profitent des mois de la rentrée pour
violer le plus d’étudiantes de première année »). On assiste, année après
année, à une véritable épidémie, mais, étrangement (ou pas...), personne n’en
parle. Cela ne fait certainement pas partie des informations données aux
étudiantes dans leur paquet de bienvenue. Cela ne fait pas non plus les gros
titres des médias. On préfère parler des
initiations en brossant le portrait d’une croisade de féministes hystériques,
coincées, et définitivement mal baisées contre des événements où tout le monde
s’amuse, plutôt que d’ouvrir les yeux sur les conséquences dramatiques que la
culture du viol a sur la vie et la sécurité des femmes.
La période
des initiations est l’occasion rêvée pour les « bon.ne.s (pro)féministes »
d’affirmer haut et fort que la culture du viol est un fléau, tout en s’assurant
qu’elle survive aux attaques et renaisse en forme en septembre prochain. La semaine des initiations est la semaine
du viol. La semaine suivante est la semaine de la bonne conscience. Et toutes
les autres sont les semaines du déni.
Nouvelle-choc : la culture du viol est un problème sérieux et complexe. Elle est profondément enracinée dans notre société. Elle bénéficie à la moitié de celle-ci. S’en débarrasser ne se fera pas sans mesures radicales. On ne règlera pas la culture du viol à force de belles paroles vides et de « nuances » destinées à protéger l’égo masculin. Voici donc six positions sur la culture du viol complètement inutiles au féminisme - toutes lues ou entendues dans les derniers jours.
1) C’est la faute de tout le monde...
et la faute de personne
Première
réaction face à la culture du viol : il ne faut pas la voir partout.
Deuxième réaction face à la culture du viol – une fois qu’on commence, nous
aussi, à la voir partout : tout le monde est responsable. Vous avez
peut-être oublié un détail?
On peut
dire que « tout le monde participe à la culture du viol », et ne pas
être entièrement dans le tort, mais cela masque le fait que l’écrasante
majorité des violeurs sont des hommes, que les étudiants universitaires
commettent plus que leur part de viols, et que les étudiants des fraternitésviolent 300% plus que les autres.
Tout le monde y participe, donc, mais certains plus que d'autres.
Le
problème, lorsqu’on dit que tout le monde est responsable de la culture du
viol, c’est qu’on se sert de cette affirmation facile pour se
déresponsabiliser. Si tout le monde est responsable, personne n’est
coupable. Je n’ai encore vu personne affirmer que la culture du viol était
un phénomène qui touche tout le monde, et qui dépasse les universités, et en
conclure qu’il devait entamer une sérieuse remise en question. Si l’on croyait
vraiment que tout le monde était responsable de la culture du viol, on
arrêterait de reprocher aux féministes de voir tous les hommes comme des
violeurs et on commencerait à s'y attaquer. À la place, on préfère se consoler en se disant qu'on est comme tout le monde.
2) Les initiations ne sont pas le
problème
Est-ce que les initiations causent la culture du viol? Est-ce que la culture du viol cause les initiations? Je laisse les questions de l’œuf ou la poule aux philosophes (et aux non-véganes), parce que pour moi, l'affirmation ci-haut est simplement ridicule. Si des femmes sont violées pendant des initiations – plus qu’à d’autres périodes de l’année – comment est-ce que l’initiation pourrait ne pas être un problème?
Les
ingrédients des initiations sont bien connus – pressions par les pairs, « jeux »
à connotation sexuelle, l’humiliation pour rite de passage, et, bien sûr, l’alcool.
Malgré tous ces ingrédients qui ne peuvent qu’avoir de mauvaises conséquences
année après année, on refuse de considérer que l’initiation soit un problème.
Pourquoi? Parce que c’est le fun. Ce
qui amuse ne peut pas être problématique – sinon, ça obligerait les gens
préoccupés par le sexisme à faire des sacrifices. L’alcool, les partys, l’Ostie de jeu, les jeux vidéos :
on revient toujours au même problème. À
force de prétendre que le féminisme bénéficiera à tous les hommes, on exclut
toute approche qui demande de sacrifier un peu de plaisir personnel à la cause.
Les
initiations sont un problème – que ce soit parce qu’elles causent, encouragent, tolères ou ignorent la culture du viol.
3) La solution n’est pas d’interdire
les initiations
Cette
semaine, j’ai vu de nombreuses personnes affirmer qu’il ne fallait pas
interdire les initiations, mais je n’ai vu personne le proposer. Pourquoi les
partisan.e.s des initiations sont-iels autant sur la défensive? Pensent-iels
sérieusement qu’une tradition aussi enracinée que l’initiation risque d’être
interdite simplement parce qu’elle encourage le viol? Voyons donc! Dans une
société qui ne met même pas les violeurs en prison, la prévention du viol est
très loin d’être une préoccupation sérieuse.
Pourquoi s’excite-t-on,
alors, à réfuter cette proposition? Répéter qu’il ne faut pas interdire les
initiations sert deux fonctions.
Premièrement,
en se plaçant sur la défensive, les pro-initiations se placent en victimes des
excès du féminisme. Quiconque lit tous ces plaidoyers du fond du cœur pour le
maintien des initiations croira qu’une poignée d’hystériques mal baisées est en
train de persécuter nos associations étudiantes. Du coup, les coupables ne sont
pas ceux qui – faut-il le rappeler? – mettent la table pour le viol d’une femme
sur cinq pendant son passage à l’université, mais bien les quelques femmes qui
ont le courage de dénoncer les humiliations qu’on leur fait subir. Classique
technique masculiniste : inverser les rôles d’oppresseur et d’opprimée.
Deuxièmement,
en refusant catégoriquement toute proposition qui s’attaquerait au privilège de
faire la fête en début d’année, les pro-initiations font d’une tradition idiote
et dangereuse un droit. Avec un peu de recul, on pourrait se demander qui peut
réellement croire que ça ne vaut pas la peine d’annuler une fête pour
empêcher même un seul viol. C’est pourtant ce qui est avancé. Ce n’est pas que les
pours et les contres de la prohibition sont débattus – il s’agit d’empêcher l’idée
même d’un débat sur le sujet. On prend pour acquis qu’interdire les initiations
(ou fermer les fraternités) est l’idée la plus ridicule au monde. On renverse
alors le fardeau de preuve. Des féministes doivent, comme je le fais en ce
moment, défendre une approche concrète à la culture du viol, et rappeler que les
belles paroles et les slogans catchy ne
changent pas grand-chose. Il serait pourtant plus logique que ce soit aux
pro-initiations de s’expliquer. Comment se fait-il qu’on n’attende pas des
organisateurs.trices des initiations qu’iels démontrent qu’une formule non
sexiste est possible? Encore une fois, on peut faire le parallèle avec les
fraternités : pourquoi ne pas exiger des frats qu’ils fassent la preuve qu’ils sont capables de ne pas
violer? Ce n’est pas comme si c’était un standard particulièrement élevé.
Montre-moi une initiation respectueuse, et on pourra parler des bénéfices de la
pratique. Mais en présentant « le camp féministe » comme
déraisonnable – une poignée de « filles » qui « exagèrent » –,
on oublie que c’est l’autre camp qui devrait être en train de se justifier et
de s’excuser.
4) C’est pire ailleurs
Même si on
reconnait que l’initiation ayant cours à notre université est problématique, on
peut toujours se réfugier derrière le classique « c’est pire ailleurs ».
Cela montre, encore une fois, à quel point on a de basses attentes par rapport
aux pratiques institutionnelles sexistes.
Évidemment,
comme les initiations sont interdites de critiques et hostiles à toute
évaluation, on ne sait pas tout ce qui s’y passe. On n’a certainement pas un
récit de chaque viol, chaque insulte sexiste, chaque pression indue à la nudité
qui y ont lieu. Tout ce qu’on en sait vient des témoignages de quelques femmes
courageuses qui risquent l’opprobre pour faire connaitre leur expérience. En se
basant sur cette connaissance limitée, des gens pour qui la réputation de leur
université est plus importante que la sécurité des femmes affirment que c’est
pire dans d’autres universités. L’herbe est toujours plus sexiste chez le
voisin – surtout quand on a la chance d’avoir les États-Unis pour voisins.
Je souhaite à chaque personne qui tient ces
propos que, la prochaine fois qu’elle ira à l’hôpital pour soigner une jambe
cassée, on refuse de la traiter parce que d’autres personnes ont le cancer.
Il a fallu
des luttes considérables pour que les violences envers les femmes deviennent un
crime, ou au moins un problème. Malgré cela, on est toujours prisonnières de la
rhétorique du viol « complet » et de la « vraie » violence.
Qu’importe qu’une femme soit traitée de pute? Qu’importe qu’un homme mette la
main aux fesses d’une femme sans son consentement? Qu’importe qu’on force une
étudiante à se déshabiller devant ses camarades? Tant qu’on n’a pas une fille de
dix ans violée par 25 hommes devant 33 caméras chez les voisins, il n’y a pas
de problème.
5) On persécute les universités
Cette année
au Québec, c’est l’Université de Montréal qui a été victime de persécutions. En
effet, le fait que ses étudiantes aient vu leur consentement ignoré n’est rien
par rapport au crime qu’elles ont commis en osant dénoncer leur institution. Où
est leur esprit d’équipe?
L’idée
selon laquelle les universités sont persécutées est fausse et ridicule.
Fausse, d’abord :
toutes les universités sont critiquées pour perpétuer la culture du viol. Quand
on vient de l’Université de Montréal et qu’on préfère se voir comme victime
plutôt que comme complice, on ferme les yeux sur les dénonciations à l’UQAM qui
ont fait la une pendant des semaines, sur les attaques répétées envers McGill
pour la façon dont elle traite les femmes qui dénoncent un viol, sur les
critiques des initiations à Sherbrooke l’an passé. Et après, on accuse les
féministes de se présenter en victimes…?
Ridicule,
ensuite : qu’est-ce qu’on propose pour remédier à cette persécution? Que
les femmes se taisent, bien sûr. La solution classique pour protéger les réputations.
Si les femmes sont agressées dans la famille, elles doivent se taire pour le
bien de la famille. Et maintenant, lorsqu’elles sont agressées à l’école, elles
devraient se taire pour protéger l’école. Après ça, on nous dit qu’on n’a pas
besoin d’interdire les initiations parce qu’on mise sur des campagnes qui
incitent les femmes à prendre la parole…
6) On ne peut pas juger, on n’était pas
là
La
sacrosainte présomption d’innocence! Puisque je n’étais pas aux initiations de
l’Université de Montréal, je ne peux pas en juger. Je dois croire sur parole la
femme qui me dit qu’elle ne s’est pas
sentie agressée pendant les initiations. Mais attention : il ne faut pas
croire les femmes qui y étaient et qui dénoncent ce qui s’est passé – elles ne
cherchent qu’à créer des problèmes pour leur université.
La morale
de l’histoire : la parole des femmes n’est jamais assez. Les activistes
qui travaillent sur le thème du viol l’ont compris depuis le temps. Peu importe
ce que fait une femme avant, pendant, ou après son viol (ou son humiliation
pendant une initiation), elle n’est jamais assez crédible. Même avec des
témoins. Même avec des caméras. On ne peut tout simplement pas se fier aux
femmes, et encore moins aux féministes. Elles sont trop susceptibles et passent
leur temps à exagérer.
Le plus
ironique dans tout ça, c’est que les mêmes personnes qui nous disent qu’on ne
peut pas juger de ce qui s’est passé sans avoir été présentes nous affirment
aussi que « c’est pire ailleurs » – où elles n’étaient pas! Ou alors,
il faudrait qu’elles m’expliquent comment elles se dédoublent, cela me serait
bien utile pendant mes études…
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